vendredi 1 mai 2015

Corrigé de l'écriture d'invention

(Magda Hueckel, Calmed Self-Portrait)


Voici la copie de Thomas LCT (1e ES1). Le devoir n'est pas toujours très clair, il aurait sans doute gagné à être mieux organisé, plus explicite dans ses enjeux. Cependant, ce qui sauve Thomas dans le choix de l'écriture d'invention, c'est son style, très personnel et touchant (et le peu de fautes d'orthographe !).



Rappel du sujet :

Vous avez vécu un moment de bonheur privilégié au contact d’un lieu. Racontez cette expérience en mêlant la description de cet espace, les sensations qu’il suscite, et une réflexion sur la condition humaine.



            [mise en place de la situation] C’est l’heure. C’est comme ça. J’ai eu toute une vie pour la préparer, mais aujourd’hui, je ne suis pas prêt. Je ne veux pas en rester là, j’ai trop de choses à revivre. Avez-vous déjà traversé un océan ? Je veux le revivre, rien qu’une fois. Sentir la puissance du vent dans mes oreilles, sentir le sang affluer dans ma main cramponnée au mat. Je veux être seul, sans un souffle étranger à l’horizon. Je ne veux pas en rester là… Marcher encore une fois sur la pierre souillée de la grande muraille de Chine. Je veux encore une fois ressentir l’animation du marché de Bogota, boire un café à une terrasse parisienne, le soleil imprégnant ma peau. Je veux voir le soleil nous dire au-revoir en s’effaçant sous la mer, avec la crainte qu’elle m’aspire. Respirer le souffle court de l’animal lors d’une course de chevaux à Rome, me brûler les pieds sur le sable cuisant de Rio, bousculer des passants dans l’agitation de Chicago. Je veux encore une fois, rien qu’une fois, me réveiller dans la fraîcheur des draps, deviner le rebord d’un sein, rougir à la vue de la beauté d’une femme. Laissez-moi rien qu’une fois encore dormir éveillé, rire, sourire, manger, aimer, apprécier, laissez-moi vivre, rien qu’une fois encore. Je veux lire, je veux dessiner, je veux écrire. Dormir comme quand j’étais enfant. Crier pour ma victoire, pleurer pour celle de l’autre. Goûter chaque atmosphère, Lima, Tokyo, Vancouver, Dublin. Vous qui me plaignez, vous qui m’écoutez, laissez-moi vivre rien qu’un instant car par-dessus tout, je veux y retourner.
            [description du lieu et des sensations] C’est ici que se rêve ma vie. Je m’y sens bien, je veux y vivre. Regardez là-bas, la lueur sombre de l’éclaircie. J’y suis. Ma tête est froide, mon corps est chaud. Le silence crie autour de moi, autour de nous. Là où je suis, le temps semble m’échapper, mais je ris, je ris encore. La situation ma plaît, alors je ris. Mes yeux pétillent, ma bouche danse. Ô oui ! laissez-moi rire, je vous en supplie, je ne suis pas prêt. Je m’assois et je contemple. C’est là, sur l’humidité de l’herbe, que je veux partir. Je veux la protéger car elle a froid, passer la nuit à craindre les attaques de la pénombre et se réveiller, mouillée, refroidie. Ce n’est pas une vie. Alors je m’assieds dessus pour la réchauffer, et là je peux pleurer. Me sentir si bouleversé que s’échappent de moi des larmes chaudes et rassurantes. C’est magnifique. Mais pour assister au spectacle, il faut attendre. Alors je ferme les yeux, mais je ne veux pas partir, me laisser aller. Je pense. Je repense à la vie qui est prête à m’échapper.
            [réflexion sur la condition humaine] On naît peu de choses, pour mourir peu de choses. J’ai senti une première fois les bras vibrants de ma mère. Je m’en souviens, ces larmes mélangées aux miennes. Un jour, j’ai vibré en me sentant avancer. Puis j’ai pleuré quand elle m’a quitté. J’ai cru [me] dominer quand j’ai voyagé, flanché quand le soleil battait. Je me souviens. Comme tout va me manquer. J’apprenais à aimer la profondeur d’un écrit, j’apprenais à aimer les nouveautés d’une odeur. [J’ai voulu repasser devant ce lieu qui m’inspirait et m’ennuyait]. J’aspirais à voir cet enfant rire. J’appréhendais chaque fois ce combat redouté. J’adorais sentir la joie d’un rapport amical. Et je savourais chaque nouvelle langue que j’entendais parler. Pitié, je veux revivre cela, rien qu’une seule fois.
            Alors, j’ouvre les yeux. Et je vis une dernière fois, une seconde fois. Je ne sais pas si je suis mort, mais je suis là, assis dans l’herbe, elle est réchauffée et moi j’ai froid. Et mes yeux s’ouvrent, une dernière fois. La ville s’éveille. Le soleil gris tarde à se montrer. Les premières têtes sortent, les premiers cris affluent. Cet oiseau si lent nargue le silence. Des sourires, des chants et le vent. Ils sont heureux de se lever, heureux d’y retourner. Et je suis là, sur mon herbe, à les contempler. Je voudrais revivre ça, une fois pour m’émerveiller. Sentir le monde se réveiller. Mais d’un coup j’ai chaud. Le confort de ma chambre revient et ils sont là, ils se tiennent prêts. C’est l’heure, c’est comme ça. J’ai eu toute une vie pour la préparer mais aujourd’hui je ne suis pas prêt. Alors je ferme les yeux et je laisse la vie venir.
            Vie, viens à moi. J’ai beaucoup à te donner. Je trouverai encore le bonheur de m’ennuyer. Je parlerai et je danserai, je t’écouterai, encore une fois. Tu ne m’as pas laissé le temps de réfléchir. Tu m’as fait dormir pour m’entraîner, mais moi, je voulais rester éveillé. Je n’ai pas eu le temps d’être heureux comme les gens le sont. Tu ne m’as pas laissé aimer un amour partagé. Tu ne m’as pas laissé penser à l’idée que j’imposerais. Tu ne m’as pas laissé te prouver que je pouvais toucher le bonheur. Tu ne m’as pas donné l’envie de transmettre, l’envie d’éduquer. Tu n’as pas voulu me laisser espérer. Par ta faute j’ai laissé glisser le destin que j’avais tracé. Et toi ? Tu te moques. Tu fais don de ce qui te plaît. Tu choisis, tu picores. Mais jamais je n’aurais pensé que tu puisses autant t’acharner. Malgré ça je t’aime. Et puis c’est comme ça. Je me suis préparé toute une vie et aujourd’hui je suis prêt. C’est l’heure et c’est comme ça. Tu les vois ? Regarde ! Ils pleurent, ils se cachent. C’est ça le bonheur pour toi ? Ils ont l’air d’être heureux ? Allez, lâche-moi avec ton bonheur. C’est une mauvaise idée. Aujourd’hui je suis heureux, demain je pleurerai. Tu ne sais pas ce que tu dis. Donne-moi un baiser, une dernière fois, et dis-moi adieu. Je veux sentir ton souffle, une dernière fois, ton rire, une dernière fois. Et vous là-bas ! Soyez heureux. Et ne laissez pas la vie vous tromper. Car encore fois je meurs, et vous, vous vivez.



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