jeudi 6 novembre 2014

Corrigé de la question sur corpus 1eS1





Les trois personnages que sont l'empereur Caligula, dans la pièce de Camus, le roi Béranger Ier, du Roi se meurt d'Eugène Ionesco, et Alexandre le Grand de Macédoine, héros du Tigre bleu de l'Euphrate de Laurent Gaudé, sont confrontés ici à l'imminence de leur mort. Ils ont en commun d'être des hommes de pouvoir face à cet ultime adversaire contre lequel leur pouvoir est impuissant : la mort. Ils le sont toutefois de manière différente : Caligula sait qu'il va être assassiné par les patriciens qu'il a poussés à bout par son règne fou et sanguinaire, le roi Béranger et Alexandre sont vieux et malades et donc condamnés à disparaître.

[1. La peur] Face à cette échéance, ils traduisent leur désespoir en exprimant leurs émotions : la peur pour Caligula et le roi : « j'ai peur », confesse le premier devant le miroir qui permet cette introspection, « au secours » s'écrie le second à la fenêtre en appelant son peuple à l'aide, puis « j'ai peur ». Mais tandis que Caligula ressent aussitôt du « dégoût » devant cette « lâcheté » et se ressaisit en défiant les patriciens qui arrivent de tous côtés pour le tuer, « leur fait face avec un rire fou », en déclarant sous leurs coups : « Je suis encore vivant ! » Béranger se montre incapable de se débarrasser de cette peur, « il crie » et se borne à répéter jusqu'au bout : « Ce n'est pas possible. J'ai peur », ce qui lui vaut le mépris de son entourage qui parle de « scandale », de « porc qu'on égorge » et qui le supplie de « mourir dignement » en lui donnant comme modèles les morts exemplaires de Louis XIV, Philippe II et Charles Quint. Alexandre, lui, n'a pas peur de mourir et s'adresse d'ailleurs directement à la mort dans son long monologue. Il se montre résigné et prêt à mourir : « Il est temps […] Je ne reculerai pas », mais il éprouve pourtant une profonde tristesse de devoir renoncer à sa soif de vivre, de découvrir, de conquérir : « Je pleure sur toutes ces terres que je n'ai pas eu le temps de voir […] Je ne vais plus courir,/ Je ne vais plus combattre […]/ Je suis l'homme qui meurt/ Et disparaît avec sa soif. »

[2. Le bilan] Face à la mort, ils éprouvent aussi le besoin de faire le bilan de leur existence avec un résultat mitigé. C'est ce que fait longuement Caligula dans son face-à-face solitaire avec son miroir qui permet ce retour sur soi : il admet qu'il a échoué dans sa quête de l'impossible, symbolisée par la lune qu'il a chargé Hélicon, son confident, de lui rapporter : « L'impossible ! Je l'ai cherché aux limites du monde, aux confins de moi-même […] et c'est toi que je rencontre […] et je suis pour toi plein de haine. Je n'ai pas pris la voie qu'il fallait. Je n'aboutis à rien. Ma liberté n'est pas la bonne. » Ces trois phrases négatives montrent qu'il reconnaît avec amertume l'échec de son règne de tyran fou. C'est ce que fait aussi Alexandre quand il évoque « le tigre bleu de L'Euphrate » qui symbolise également un rêve inassouvi mais qu'il « n'a pas osé suivre jusqu'au bout ». Il reconnaît, comme Caligula, son échec : « J'ai failli. Je l'ai laissé disparaître au loin. » Mais Béranger, paralysé par la peur, est incapable de réflexion, d'introspection !

[3. La dignité d’un homme] Face à la mort, les trois hommes perdent, d'une certaine façon, ce qui symbolisait leur pouvoir, leur grandeur. Mais là encore de manière différente : Béranger ne peut « mourir dignement » comme on l'y invite, il perd ainsi, malgré lui, tout ce qui faisait sa dignité, sa superbe royale, il n'est plus qu'un homme comme les autres, qui a peur devant la mort. En revanche, si Caligula pleure et s'agenouille devant son miroir, ce n'est pas par faiblesse, par peur de la mort, c'est parce qu'il a échoué dans sa quête et son geste final de souffler pour brouiller son reflet, puis de briser finalement ce miroir qui la lui renvoie, exprime son désir d'effacer l'image du tyran fou qui ne lui inspire désormais que de « la haine ». Et s'il crie en mourant « Je suis encore vivant », ce n'est pas par refus de la mort, mais parce qu'il veut incarner, pour la postérité, la révolte de l'homme contre l'absurde, cette potentialité que tout homme porte en soi. C'est un cri en forme de défi : la survie qu'il prédit est aussi celle de la soif d'absolu qui le poussait et que tout homme peut retrouver en soi. Alexandre, quant à lui, choisit de se dépouiller de ses emblèmes royaux, pour se présenter « nu » devant la mort : « Je veux être nu,/ Sans tunique, ni diadème,/ Avec juste entre mes dents de mort, la pièce rouillée qui suffit à payer mon passage. » Il n'est plus que « l'homme qui meurt », un homme comme un autre…

Au-delà de leurs différences, ces trois extraits mettent en scène des hommes de pouvoir confrontés à la mort qui les ramène à la précarité de leur condition d'humain et leur fait retrouver leur humanité, avec ses faiblesses. Cela leur permet aussi d'aller à l'essentiel de ce qu'a été leur vie : l'absence de sens pour Béranger et qui le laisse démuni ou au contraire le sens que les deux autres ont voulu lui donner et qu'ils affirment avec leur dernière force.

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