dimanche 7 décembre 2014

Corrigé commentaire Beckett




Voici un petit mix de trois copies : celle de Julie B., de Thomas LCT et de Cédric A.
Seule la dernière sous-partie, qui porte sur l'aspect plus "philosophique" du texte, est de moi.




                  [accroche] Les années soixante voient le déclin des Trente Glorieuses, entraînant ainsi une vague de pessimisme face à l’incapacité des populations à se projeter dans le futur. En littérature, tout le XXe siècle est marqué par des mouvements littéraires nouveaux et expérimentaux, comme le surréalisme ou l’absurde. Ce dernier mouvement connaît un grand succès au théâtre, notamment avec des auteurs comme Ionesco, Adamov ou Beckett. [présentation de l’auteur et de l’extrait] Samuel Beckett est un dramaturge moderne anglais qui écrit en 1963 Oh les Beaux jours.  Notre commentaire se focalisera sur le début de l’acte I de cette pièce. La didascalie initiale met en place deux personnages, Willie et Winnie, dans un lieu apparemment inconnu et non identifié. Winnie prend longuement la parole, avant que Willie ne la coupe. [problématique] Ainsi, nous pouvons nous demander comment, par l’intermédiaire de la parole solitaire d’un personnage, le dramaturge propose une vision pessimiste et absurde de la condition humaine. [annonce du plan] Nous verrons d’abord en quoi ce faux « monologue » est pathétique, avant de nous intéresser à la vision absurde de la finitude humaine peinte par l’auteur.

***

                  [Rappel de l’axe et annonce des sous-parties] Ce monologue fait figure d’appel à la pitié. Ce côté pathétique est souligné par la solitude du personnage, couplée à son besoin de sentir la présence de Willie qui l’accompagne, et il est renforcé par le rythme lent du monologue.
                  [Annonce de la sous-partie 1] Tout d’abord, ce monologue provoque la pitié, car on sent un personnage esseulé. [argument 1 : étude d’un procédé d’écriture avec citation du texte] Winnie aimerait être entendue par Willie, mais ce dernier ne semble pas prêter une oreille attentive au discours de sa femme, comme l’indique la répétition de négations restrictives couplées aux verbes de parole et d’écoute : « n’entends pas » (l.3), « n’entends rien » (l.4), « tu ne réponds pas » (l.6) ou encore « tu ne parles pas » (l.7). [interprétation du procédé] Ce manque de communication souligne la solitude du personnage de Samuel Beckett. [nouvel argument] La solitude est aussi marquée par des propos soulignant l’absence de vie alentours, comme le montrent les expressions « sans âme qui vive qui entende » (l.2) ou « le désert » (l.8). Cette dernière expression met en lumière la solitude de Winnie dans le texte, en comparant le silence de Willie à une plaine désertique sans signe de vie. On remarque aussi que Winnie en vient à se parler toute seule pour combler sa solitude ; on relève ainsi à la ligne 7 le nom propre « Winnie » et le pronom personnel « tu », associés à des verbes conjugués à la deuxième personne du singulier : « tu te fais entendre », « tu ne parles pas toute seule ». Pourtant, il semble bien que ce personnage soit seule face à elle-même, car Willie la laisse dans sa solitude.
                  [Annonce de la sous-partie 2] En effet, Willie ne répond pas aux inquiétudes de Winnie, ce qui lui fait éprouver une angoisse plus forte encore. Ainsi, elle s’inquiète pour le jour où elle sera vraiment seule, comme le montre l’expression « depuis le moment où ça sonne pour le réveil au moment où ça sonne pour le sommeil » (l.13/14). Ce parallélisme de construction, bâti sur l’antithèse entre réveil et sommeil, a pour effet d’insister sur le sentiment de solitude qui dure du matin au soir. Cette peur d’être seule est liée chez Winnie à la peur de la mort, qu’elle évoque à plusieurs reprises dans le texte, par exemple avec le verbe « mourir » (l.10) ou le groupe nominal « dernier soupir » (l.16).
                  [Annonce de la sous-partie 3] Enfin, les nombreuses pauses effectuées entre chaque phrase, pauses marquées par la répétition de la didascalie interne « un temps », créent une certaine musicalité et ajoutent une dimension pathétique au monologue de Winnie. Les didascalies des lignes 24 à 26 en particulier, ces hésitations dans l’attitude à adopter chez le personnage, relèvent à la fois du comique de situation et du pathétique. Le personnage semble réellement perdu, abandonné, ne sachant que dire ou faire pour que son compagnon réagisse.
                  [bilan de la partie et transition] On peut donc dire que ce monologue est pathétique par l’idée de solitude, par la peur de Winnie d’être abandonnée, et par le rythme lancinant qu’instaurent les didascalies. Ce pathétisme permet au dramaturge de proposer une vision absurde de la condition humaine, comme nous allons le voir à présent.

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                  [Rappel de l’axe et annonce des sous-parties] Tout au long de son monologue, Winnie amène le spectateur à réfléchir directement ou indirectement à sa propre condition humaine, par l’intermédiaire de son attitude incohérente, de son rapport à Willie ou encore de la futilité qui semble la caractériser.
                  [Argument 1] Le personnage de Winnie est assez incohérent ; elle est en effet capable de passer de la recherche de son peigne à un raisonnement sur la nature humaine. On le remarque notamment dans l’accumulation de la ligne 23 : « On fait tout. Tout ce qu’on peut. Ce n’est qu’humain. Que nature humaine. Que faiblesse humaine. Que faiblesse naturelle. » Ce raisonnement se suit grâce au parallélisme d’une phrase avec la suivante, et amène le personnage à constater la faiblesse de notre nature, notre fragilité, liée entre autre à notre finitude. Mais Winnie repart aussitôt dans la recherche de son peigne. Elle utilise alors deux antithèses, renforcées par un parallélisme de construction, à la ligne 27 : « Pas trace de peigne. Pas trace de brosse. Le peigne est là. La brosse est là. », qui traduisent un comportement quelque peu irrationnel. De plus, alors que l’on s’attend à une remise en question de Dieu à la ligne 38, alors que Winnie proclame « A Dieu et à moi », elle ne semble finalement réfléchir qu’à la tournure de la phrase (« Peut-on dire… ? »). Ainsi, Winnie semble représenter ici l’Homme, capable de grande chose comme des plus futiles.
                  [Argument 2] La question de l’Homme, d’ailleurs, est mise en avant dans le rapport qu’entretient Winnie avec Willie. En effet, même s’il ne dit qu’un mot, Willie est très présent dans la scène, car constamment évoqué par Winnie. On voit vite qu’elle a besoin de lui, dès la ligne 1, lorsqu’elle avoue « Si seulement je pouvais supporter d’être seule ». Elle imagine la mort de son compagnon et pense ne pas pouvoir y survivre, comme si Willie était sa seule raison de vivre, « ce qui permet de continuer » (l.9). Winnie, encore une fois, semble être le porte-parole de l’Homme, et énoncer notre peur de vivre sans les autres, notre besoin d’être entouré pour affronter l’inquiétude que représente notre finitude.
                  [Argument 3] En effet, c’est bien de cette inquiétude de la mort dont il est question dans le texte de Beckett, et de l’absurdité de notre condition humaine, nous qui venons au monde pour finalement le quitter. Ainsi, l’espace et le rapport non réaliste des personnages à cet espace est une métaphore d’une vie engluée dans le non-sens, ce que prouvent aussi bien la didascalie initiale que la photographie de la mise en scène de Jean-Louis Barrault l’année de la création de la pièce. De plus, comme souvent dans le théâtre de Beckett, les personnages semblent être des figures assez grotesques représentant une humanité sans espoir, qui se contente de passer le temps en attendant la mort (l.12/14). En effet, nous pourrions nous demander, comme Winnie, « que faire ? ». Cette question met en évidence la limite de l’action humaine, son inutilité. « Il y a si peu qu’on puisse faire, ce n’est qu’humain. Que faiblesse humaine… » Les formules restrictives révèlent bien notre incapacité à échapper à la mort. Nos actions sont dérisoires, comme le prouvent, de manière symbolique, toutes les actions qu’effectue Winnie avec son sac à main, à la recherche des objets qu’il contient, tous utiles pour préserver sa beauté. Mais à quoi bon ? Un jour, comme l’annonce Willie, elle aussi dormira sous le mamelon de terre, s’étant tue. Enfin…
                  [bilan de la partie] Ainsi, le dramaturge, par l’intermédiaire d’un personnage agissant de manière illogique en apparence, nous livre-t-il une vision pessimiste et absurde de la condition humaine.

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[conclusion] Notre étude nous a donc amenés à étudier l’aspect pathétique de ce faux monologue, dans un extrait qui s’achève sur l’injonction de Willie à se taire. Les paroles et les gestes parfois incohérents de Winnie semblent traduire la vision absurde et pessimiste de Beckett quant à notre condition humaine. Beckett nous présente une pièce où le dialogue semble devenir impossible. Parler ne revient plus à communiquer et Willie se contente par instants de grogner pour répondre à sa femme. Parler devient alors une activité qui maintient en vie en attendant l’enlisement complet qu’est la mort. [ouverture] Ionesco lui aussi, autre auteur du théâtre de l’absurde, écrira une pièce sur cette peur de mourir inhérente à l’Homme, Le Roi se meurt, parue l’année précédant Oh les Beaux jours.

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