Voici un petit mix de trois copies : celle de Julie B., de Thomas LCT et de Cédric A.
Seule la dernière sous-partie, qui porte sur l'aspect plus "philosophique" du texte, est de moi.
[accroche]
Les années soixante voient le déclin des Trente Glorieuses, entraînant ainsi
une vague de pessimisme face à l’incapacité des populations à se projeter dans
le futur. En littérature, tout le XXe siècle est marqué par des mouvements
littéraires nouveaux et expérimentaux, comme le surréalisme ou l’absurde. Ce
dernier mouvement connaît un grand succès au théâtre, notamment avec des
auteurs comme Ionesco, Adamov ou Beckett. [présentation de l’auteur et de
l’extrait] Samuel Beckett est un dramaturge moderne anglais qui
écrit en 1963 Oh les Beaux jours.
Notre commentaire se focalisera sur le début de l’acte I de cette pièce.
La didascalie initiale met en place deux personnages, Willie et Winnie, dans un
lieu apparemment inconnu et non identifié. Winnie prend longuement la parole,
avant que Willie ne la coupe. [problématique] Ainsi, nous pouvons nous demander
comment, par l’intermédiaire de la parole solitaire d’un personnage, le
dramaturge propose une vision pessimiste et absurde de la condition humaine. [annonce du
plan] Nous verrons d’abord en quoi ce faux
« monologue » est pathétique, avant de nous intéresser à la vision absurde
de la finitude humaine peinte par l’auteur.
***
[Rappel de
l’axe et annonce des sous-parties] Ce monologue fait figure d’appel à
la pitié. Ce côté pathétique est souligné par la solitude du personnage,
couplée à son besoin de sentir la présence de Willie qui l’accompagne, et il
est renforcé par le rythme lent du monologue.
[Annonce de
la sous-partie 1] Tout d’abord, ce monologue provoque la pitié, car
on sent un personnage esseulé. [argument 1 : étude d’un procédé
d’écriture avec citation du texte] Winnie aimerait être entendue par
Willie, mais ce dernier ne semble pas prêter une oreille attentive au discours
de sa femme, comme l’indique la répétition de négations restrictives couplées
aux verbes de parole et d’écoute : « n’entends pas » (l.3),
« n’entends rien » (l.4), « tu ne réponds pas » (l.6) ou
encore « tu ne parles pas » (l.7). [interprétation du procédé]
Ce manque de communication souligne la solitude du personnage de Samuel
Beckett. [nouvel argument] La solitude est aussi marquée par des propos
soulignant l’absence de vie alentours, comme le montrent les expressions
« sans âme qui vive qui entende » (l.2) ou « le désert » (l.8).
Cette dernière expression met en lumière la solitude de Winnie dans le texte,
en comparant le silence de Willie à une plaine désertique sans signe de vie. On
remarque aussi que Winnie en vient à se parler toute seule pour combler sa
solitude ; on relève ainsi à la ligne 7 le nom propre « Winnie »
et le pronom personnel « tu », associés à des verbes conjugués à la
deuxième personne du singulier : « tu te fais entendre »,
« tu ne parles pas toute seule ». Pourtant, il semble bien que ce
personnage soit seule face à elle-même, car Willie la laisse dans sa solitude.
[Annonce de
la sous-partie 2] En effet, Willie ne répond pas aux inquiétudes de
Winnie, ce qui lui fait éprouver une angoisse plus forte encore. Ainsi, elle
s’inquiète pour le jour où elle sera vraiment seule, comme le montre
l’expression « depuis le moment où ça sonne pour le réveil au moment où ça
sonne pour le sommeil » (l.13/14). Ce parallélisme de construction, bâti
sur l’antithèse entre réveil et sommeil, a pour effet d’insister sur le sentiment
de solitude qui dure du matin au soir. Cette peur d’être seule est liée chez
Winnie à la peur de la mort, qu’elle évoque à plusieurs reprises dans le texte,
par exemple avec le verbe « mourir » (l.10) ou le groupe nominal
« dernier soupir » (l.16).
[Annonce de
la sous-partie 3] Enfin, les nombreuses pauses effectuées entre
chaque phrase, pauses marquées par la répétition de la didascalie interne
« un temps », créent une certaine musicalité et ajoutent une
dimension pathétique au monologue de Winnie. Les didascalies des lignes 24 à 26
en particulier, ces hésitations dans l’attitude à adopter chez le personnage,
relèvent à la fois du comique de situation et du pathétique. Le personnage
semble réellement perdu, abandonné, ne sachant que dire ou faire pour que son
compagnon réagisse.
[bilan de
la partie et transition] On peut donc dire que ce monologue est
pathétique par l’idée de solitude, par la peur de Winnie d’être abandonnée, et
par le rythme lancinant qu’instaurent les didascalies. Ce pathétisme permet au
dramaturge de proposer une vision absurde de la condition humaine, comme nous
allons le voir à présent.
***
[Rappel de
l’axe et annonce des sous-parties] Tout au long de son monologue,
Winnie amène le spectateur à réfléchir directement ou indirectement à sa propre
condition humaine, par l’intermédiaire de son attitude incohérente, de son
rapport à Willie ou encore de la futilité qui semble la caractériser.
[Argument
1] Le personnage de Winnie est assez incohérent ; elle est en
effet capable de passer de la recherche de son peigne à un raisonnement sur la
nature humaine. On le remarque notamment dans l’accumulation de la ligne
23 : « On fait tout. Tout ce qu’on peut. Ce n’est qu’humain. Que
nature humaine. Que faiblesse humaine. Que faiblesse naturelle. » Ce
raisonnement se suit grâce au parallélisme d’une phrase avec la suivante, et
amène le personnage à constater la faiblesse de notre nature, notre fragilité,
liée entre autre à notre finitude. Mais Winnie repart aussitôt dans la
recherche de son peigne. Elle utilise alors deux antithèses, renforcées par un
parallélisme de construction, à la ligne 27 : « Pas trace de peigne.
Pas trace de brosse. Le peigne est là. La brosse est là. », qui traduisent
un comportement quelque peu irrationnel. De plus, alors que l’on s’attend à une
remise en question de Dieu à la ligne 38, alors que Winnie proclame « A
Dieu et à moi », elle ne semble finalement réfléchir qu’à la tournure de
la phrase (« Peut-on dire… ? »). Ainsi, Winnie semble représenter
ici l’Homme, capable de grande chose comme des plus futiles.
[Argument
2] La question de l’Homme, d’ailleurs, est mise en avant dans le
rapport qu’entretient Winnie avec Willie. En effet, même s’il ne dit qu’un mot,
Willie est très présent dans la scène, car constamment évoqué par Winnie. On
voit vite qu’elle a besoin de lui, dès la ligne 1, lorsqu’elle avoue « Si
seulement je pouvais supporter d’être seule ». Elle imagine la mort de son
compagnon et pense ne pas pouvoir y survivre, comme si Willie était sa seule
raison de vivre, « ce qui permet de continuer » (l.9). Winnie, encore
une fois, semble être le porte-parole de l’Homme, et énoncer notre peur de
vivre sans les autres, notre besoin d’être entouré pour affronter l’inquiétude
que représente notre finitude.
[Argument
3] En effet, c’est bien de cette inquiétude de la mort dont il est
question dans le texte de Beckett, et de l’absurdité de notre condition
humaine, nous qui venons au monde pour finalement le quitter. Ainsi, l’espace
et le rapport non réaliste des personnages à cet espace est une métaphore d’une
vie engluée dans le non-sens, ce que prouvent aussi bien la didascalie initiale
que la photographie de la mise en scène de Jean-Louis Barrault l’année de la
création de la pièce. De plus, comme souvent dans le théâtre de Beckett, les
personnages semblent être des figures assez grotesques représentant une
humanité sans espoir, qui se contente de passer le temps en attendant la mort
(l.12/14). En effet, nous pourrions nous demander, comme Winnie, « que
faire ? ». Cette question met en évidence la limite de l’action
humaine, son inutilité. « Il y a si peu qu’on puisse faire, ce n’est
qu’humain. Que faiblesse humaine… » Les formules restrictives révèlent
bien notre incapacité à échapper à la mort. Nos actions sont dérisoires, comme
le prouvent, de manière symbolique, toutes les actions qu’effectue Winnie avec
son sac à main, à la recherche des objets qu’il contient, tous utiles pour
préserver sa beauté. Mais à quoi bon ? Un jour, comme l’annonce Willie,
elle aussi dormira sous le mamelon de terre, s’étant tue. Enfin…
[bilan de
la partie] Ainsi, le dramaturge, par l’intermédiaire d’un personnage
agissant de manière illogique en apparence, nous livre-t-il une vision
pessimiste et absurde de la condition humaine.
***
[conclusion] Notre étude nous a donc amenés à
étudier l’aspect pathétique de ce faux monologue, dans un extrait qui s’achève
sur l’injonction de Willie à se taire. Les paroles et les gestes parfois incohérents
de Winnie semblent traduire la vision absurde et pessimiste de Beckett quant à
notre condition humaine. Beckett nous présente une pièce où le dialogue
semble devenir impossible. Parler ne revient plus à communiquer et Willie se
contente par instants de grogner pour répondre à sa femme. Parler devient alors
une activité qui maintient en vie en attendant l’enlisement complet qu’est la
mort. [ouverture] Ionesco lui aussi, autre auteur du théâtre de
l’absurde, écrira une pièce sur cette peur de mourir inhérente à l’Homme, Le
Roi se meurt, parue l’année précédant Oh les Beaux jours.
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